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Le phénomène Quiet Quitting a-t-il touché l'écosystème Produit ?

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Marion Darnet
Fondatrice de Pachamama
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Le quiet quitting ou démission silencieuse est un vrai phénomène aux Etats-Unis. Qu'en est-il dans le Produit en France ? Rencontre avec 3 Head of Product qui ont accepté de témoigner de façon anonyme.

Aux Etats Unis, être en quiet quitting ne veut pas dire aller mal. Au contraire car cela englobe le fait de se définir autrement que par le travail.

1.  Les Product Managers en “quiet quitting”… pourraient bien le vivre

Je vous avais parlé de la tendance de quiet quitting dans cette newsletter.

J’avais “peur” de voir arriver cette vague de quiet quitting chez nous, en provenance des USA. Peur car je voyais aussi, d’années en années, dans mon entourage plus ou moins proche, de plus en plus de Product Managers et Product leaders en situation de détresse mentale, stress intense, en burn out ou à la limite de l’être.

Pour être moi-même passée par la case burn-out avant de lancer Pachamama

je suis particulièrement sensible à ces sujets là. Et je comprends de par mon vécu que les PMs puissent être particulièrement exposés à ces sujets de part leur rôle pivot en interne.

En creusant le sujet, je me suis rendue compte qu’il ne fallait pas mélanger les concepts de “quiet quitting” et de “burn-out” car, s'ils sont parfois reliés, ils peuvent aussi être parfaitement décorrellés.

Je me suis même dit : si je trouvais des PMs et des CPOs en France en situation de quiet quitting, ce serait peut-être finalement une bonne nouvelle.

Et oui, aux USA, certains salariés assument le fait d’être en démission silencieuse, et le vivent très bien.

Aux Etats Unis, être en quiet quitting ne veut pas dire aller mal. Au contraire, cela engloble :

  • le fait de se définir autrement que par le travail
  • savoir dire non aux heures supplémentaires non payées
  • savoir dire non aux tâches ou efforts “extra” pour “dépanner” l’entreprise

Du coup, j’ai creusé.

A-t-on des experts du Produit en situation de démission silencieuse dans l'écosystème français?

2.  Les PMs & Head of Product désengagés sont en souffrance 🥲

En faisant une Discovery rapide auprès de mon audience, je me suis rendue compte que les Product leaders en situation de quiet quitting ne vivaient pas bien du tout cette situation.

J’ai recueilli le témoignage de 3 Head of Product volontaires pour une interview.

Naïvement, je pensais m’entretenir avec des personnes volontaires pour l'interview et donc à l’aise avec le fait d’être désengagées, j’ai au final rencontré des personnes en souffrance.

Ce sont 3 Head of Product de taille d’entreprise différentes, qui ont des histoires différentes qui les ont mené à cette situation de démission silencieuse :

- 🤦 Pour l’une, revenir au même poste dans la même entreprise, après un burnout, suite à du harcèlement moral. Sans accompagnement de l’entreprise. Hardcore.

- 🙆 Pour un autre, une réorganisation interne, un désalignement stratégique, des départs… et au final l’envie de quitter son entreprise. Pas simple après avoir passé 4 ans de sa vie à se donner sur un Produit et à construire une vision long terme.

- 🤷 Pour la dernière, un retour de congés maternité, un mood négatif et nonchalant, qui ne lui ressemble pas.

3. Comment ça se matérialise dans ton quotidien ?

Pour cette Lead Product, c’est très clair, cela passe par les horaires :

“Là, j’ai 37h, comment je les optimise au mieux. Finalement, le quiet quitting c’est ni plus ni moins que de faire le strict minimum pour garder ton CDI”

Même constat chez une head of Product jeune maman : ça se joue surtout aux niveau des horaires.

“Quand je rentre chez moi, je déconnecte en 2 secondes. Avant, c’était pas le cas autant.”

La gestion des parties prenants est moins au coeur des préoccupations : “en ce moment, j’ai beaucoup moins envie de creuser des sujets avec les parties prenantes de la boite typiquement.”

Pour un autre manager, en scaleup, pour qui c’est assez récent :

“Il y avait une lassitude, et à un moment, j’ai eu véritable déclic.”

Qui se concrétise par :

  • moins d’anticipation
  • inbox zéro pour la première fois de sa carrière
  • ignorer les problèmes, laisser passer les sujets
  • quand il y a une décision à prendre… ne pas la prendre

Mais qui se concrétise aussi sur le produit :

“j’anticipe moins donc c’est vrai que sur le long terme, il y a des non décisions qui auront un impact dans 6-9 mois"

4. Penses-tu que c’est possible d’allier un métier Produit tout en étant en démission silencieuse ?

L’une de mes interviewées pense que oui :

Si je n’avais pas vécu ce harcèlement moral et les troubles anxieux qui l'accompagne, je pense que j’aurais pris du plaisir à ce mode free ride.”

Un autre de mes talents Head of Product en scaleup est plus réservé :

“Sur des postes de PM Seniors qui ont un peu de bouteille, oui je pense. Sur des postes de leaderhsip, je ne sais pas si c’est possible surtout qu’on se cherche actuellement sur la place du produit dans l’organisation, ça change régulièrement chez nous."

Pour la dernière, constat partagé également : le boulot est fait, le fond est toujours là. C’est plutôt dans la forme que le changement a opéré :

“je suis plus cash dans mes réponses, surtout quand je suis fatiguée… mais au final le résultat est le même pour mon employeur, le travail est rempli. Je suis dans un mood où je fais le taf sans être négative.“

Elle avoue être biaisée par le fait de connaître le Produit, le secteur et être dans sa zone de confort :

“j’ai moins besoin de bosser des sujets pour que ça fonctionne, c’est suffisant pour que cela avance”

5. Des side effects rares positifs pour l’entreprise

Ce qui ressort, c’est que le lâcher prise entraîne une meilleure disponibilité pour les équipes :

“Je délègue plus facilement, je suis plus en mode coach, en ce moment je me positionne comme une manager coach. L’énergie je la mets dans la relation que j’ai avec mes PMs, l’accompagnement que je vais leur apporter.

Notre Head of Product confirme que cela ne se voit pas forcément en interne :

“sur le court terme, non ça se voit pas, je suis plus disponible pour les équipes paradoxalement, donc il y a des choses positives qui en ressortent pour l’entreprise”

Bon ok, c’est le seul avantage pour les employeurs qui est ressorti de nos échanges 😅

Au final, toujours se connaître soi et questionner sa propre ambition

L’arrivée de ce phénomène servira aussi, je l’espère, aux PMs et CPOs d’un énième prétexte pour se questionner :

  • vérifier que l’on est alignés avec soi-même
  • questionner son ambition personnelle et professionnelle en permanence
  • challenger le WHY de notre ambition

S’il y a bien un message que je cherche à faire passer à mes talents avec Pachamama : deviens le propre pilote de ta carrière, prends du temps pour prendre du recul et questionner ta carrière régulièrement. Que ta boîte et ton manager t’invite à le faire… ou pas.

🚨Je n’ai pas encore trouvé de Product People en situation de démission silencieuse, qui l’assume pleinement et qui a envie de le rester.

Mais je pense que cela finira par arriver.

Aux Etats-Unis, c’est un phénomène qui prend de l’ampleur car les nouvelles générations ne se définissent pas que par le travail et veulent faire entendre leur voix.

Les CDIs ont moins le vent en poupe versus il y a 10/20 ans où c’était juste le St Graal.

Je vois de plus en plus de jeunes quitter leur CDI après 1 an de travail pour faire le tour du monde ou privilégier une autre activité.

Même en temps de crise, les salariés n’hésitent plus à quitter un job qui ne leur procure pas satisfaction.

Nous allons donc beaucoup entendre parler d’engagement et de rétention des talents dans les années à venir. Que ce soit aux Etats-Unis ou en France d’ailleurs.